dimanche 30 mai 2010

Désillusions profondes

Lord Willington a dit qu’il n’était pas au courant d’elfes cachés sur le bateau. Quand j’ai menacé de trouver une hache et de défoncer les murs jusqu’à ce que je trouve quelque chose, il m’a proposé de m’emmener à la cabine du capitaine. Je ne l’aurais sans doute jamais trouvée toute seule alors j’ai accepté. Il est allé se changer dans mon ancienne cabine et je l’ai attendu dans la sienne. J’avais laissé la porte entrouverte et quand il est revenu, il l’a refermée et m’a bloquée le chemin. Euh…

Il voulait me garder en otage et m’a demandé d’aller dans mon ancienne cabine. Euh… pas question. Il m’a rappelée qu’il ne m’avait jamais fait de mal, mais ça ne m’a pas rassurée. Vous ne m’avez peut-être jamais fait de mal, mais là vous me prenez en otage. Alors permettez-moi d’avoir des doutes! J’ai lancé flare sur lui et j’ai essayé de m’échapper, mais quelque chose m’est tombé dans les jambes et m’a fait trébucher. Willington m’a agrippée et m’a jetée dans mon ancienne cabine.

Je ne comprends rien du tout… Pourquoi vous me prenez en otage? Je pensais que… À quoi ça a servi que je sois gentille avec lui si c’était pour me faire prendre en otage au bout du compte? Je ne pouvais peut-être pas sortir, mais je pouvais quand même faire quelque chose. Je me suis mise à frapper dans la porte le plus fort possible. Soit Willington viendrait ouvrir pour me dire d’arrêter et je pourrais tenter de m’échapper, soit le bruit alerterait quelqu’un du groupe. Aussi cinglés qu’ils soient tous, je ne pense pas qu’ils me laisseraient ici.

J’ai fini par entendre beaucoup de bruit et l’enfant qui pleurait de plus en plus fort. Je me tenais déjà prête à attaquer, alors quand ma porte s’est ouverte, j’ai frappé, certaine que c’était Willington qui serait là. Mais ce n’était pas Willington, c’était Uvi et je l’ai assommé. J’ai pu le soigner et le réveiller. Il était sonné, mais à part ça, il allait bien.

Tout le monde était là. Willington avait perdu son avantage, mais il ne voulait toujours rien nous dire. Il a été enfermé dans une autre cabine, pendant qu’Uvi et moi cherchions dans la sienne. Nous avons trouvé une trappe dans le mur alors j’ai décidé d’aller en parler avec Willington. Il a fait comme s’il n’était pas au courant et il m’a rappelé ce qu’il m’avait dit dans la cabine de pilotage. Il m’a aussi félicitée, me disant que ça allait arriver une deuxième fois. Il ne m’a pas crue une seule seconde quand je lui ai dit que nous n’allions ni tuer, ni torturer, ni jeter qui que ce soit par-dessus bord. Voilà donc une autre conséquence de la gentillesse : notre parole ne vaut plus rien.

Quand nous sommes sortis, j’ai refusé d’expliquer aux autres les paroles de Willington. J’avais trop mal pour en parler, même à Uvi. Nous avons décidé de faire des tours de garde en équipe de deux pour nous assurer que Willington ne s’échapperait pas. Comme mon tour n’était pas tout de suite, je suis allée me coucher. Des coups frappés à ma porte m’ont réveillée, ou plutôt dérangée. Je ne dormais pas vraiment. C’était le capitaine. Il voulait parler au chef. Il est retourné dans la cabine de pilotage et moi je suis allée chercher Lena pour l’en informer.

Je ne voulais pas me faire accuser d’espionner, alors j’ai observé la scène de loin. Quand Lena est sortie de la cabine, elle nous a tout expliqué. Le capitaine avait arrêté le navire. À cause de toute la merde qui venait de se passer, les marins voulaient reprendre le contrôle. En gros, ça voulait dire que nous devions rendre nos armes si nous voulions que le bateau reparte. […] Toute la merde qu’il y a eu? C’est Willington qui a voulu me prendre en otage et c’est nous qui sommes accusés?

Lena et Ark se bavant temporairement dessus, nous avons voté à l’unanimité pour nous rendre. Je me suis proposée pour aller donner notre réponse au capitaine. Il voulait que nous lui apportions nos armes dans la cabine de pilotage. Lui et Willington garderaient les leurs. Alors au moindre mouvement qu’ils n’apprécieront pas, ils pourront nous abattre sans problème. Génial. Pourquoi ne pas nous tuer tout de suite? Mince consolation : nous allions être amenés près de notre destination et nos armes nous seraient redonnées à ce moment-là. Je suppose que nous devrions leur être éternellement reconnaissants de ne pas nous abandonner sans moyen en pleine jungle. Tant qu’à y être, j’ai demandé à ce que nous récupérions nos affaires volées. Le capitaine n’était pas au courant alors je lui ai dit que le petit elfe était au courant. Comme Willington plus tôt, il a joué à celui qui n’était pas au courant. C’est ça, prenez-moi tous pour une conne.

Le capitaine voulait que Willington soit libéré alors c’est ce que je suis allée faire. Willington était un peu hésitant à sort. Faites donc ce que vous voulez, je m’en fous. J’ai informé tout le monde de ce que le capitaine m’avait dit, puis nous sommes allés rendre nos armes. J’ai encore cogné avant d’entrer. J’ai eu l’impression que ça fatiguait le capitaine. Alors je devrais me comporter comme une sauvage? Nous avons donné nos armes et j’ai demandé la permission pour garder nos épées de bois. Le capitaine n’en croyait pas ses oreilles et Willington s’est retenu pour ne pas rire. C’est ça, moquez-vous de moi! Vous auriez préféré que nous fassions quoi? Garder nos épées et nous faire accuser plus tard d’avoir essayé d’assassiner quelqu’un? Non merci.

Nous avons pu garder nos épées de bois et pour le restant de la nuit, nous devions rester dans nos cabines. Nous avons décidé de nous installer deux par cabines et de faire des tours de garde. J’étais bien entendu avec Uvi. Il m’a laissée dormir en premier. Je me suis roulée en petite boule sous les couvertures et je me suis tournée dos à lui. Je n’avais pas envie de parler. Si je parlais, j’allais me mettre à pleurer. Quand il m’a réveillée, je lui ai laissé la place dans le lit et je me suis assise par terre, accotée contre un mur. J’ai passé le restant de la nuit les yeux grands ouverts, à réfléchir à tout ce qui s’était passé ces derniers jours et à tout ce que je ressentais.

À quoi ça sert d’être gentil? À quoi ça sert de se dire qu’on peut faire confiance aux gens qu’on rencontre et/ou avec qui on voyage? Ça ne sert pas à grand-chose. Je commence même à me dire que ça ne sert à rien du tout à part nous faire souffrir. Bien sûr, il y a les exceptions qui confirment la règle : Uvi, Mill, Ruby, William, ma famille, mais à part avec eux, je ne désire plus créer de liens.

Sans avoir aucune arrière-pensée, je me suis montrée gentille envers lui. Il m’avait sauvé la vie alors je voulais lui rendre la pareille, même si ça voulais dire que je doive m’opposer aux nombreux malades de mon groupe. Et qu’est-ce que ça m’a apporté? Je me fais prendre en otage. Et je me fais accuser de causer la mort de pleins de gens (une deuxième fois) alors que ce n’est même pas arrivé. Alors pourquoi je perdrais mon temps à aider les gens? Je vais finir par causer leur mort en bout de ligne de toute façon! Et dire que je me disais que j’allais aller en enfer parce que j’avais tué quelqu’un, même si c’était pour défendre quelqu’un d’autre. Je m’en faisais pour rien.

Tout le monde a l’air de considérer la violence, la torture et le meurtre comme normaux. On lance par-dessus bord, finalement non. Après toutes nos menaces de mort il ne veut toujours pas parler et on se demande pourquoi? Torturons-le! Ou alors nous pourrions le jeter par-dessus bord? Ou le torturer et après le jeter par-dessus bord? Comment qui que se soit peut-il considérer la torture comme une solution envisageable? Surtout quand cette solution est basée sur des soupçons personnels et non sur des faits vérifiés. Je ne suis pas convaincue qu’Étienne ait seulement proposé la torture pour aider Willington (je m’essaierai même pas de le savoir), surtout pas après ce qu’il a fait à Uvi. Comment aie-je pu être assez stupide pour croire qu’il avait vraiment pu échapper le pommeau de son épée sur la tête d’Uvi… trois fois?

Je crois qu’il est aussi cinglé que les autres. Au début je me disais que c’était seulement les humains qui étaient fous –ce sont surtout eux en fait- mais là je commence à me dire que la folie peut atteindre toutes les races. On ne m’y reprendra pas de sitôt à aider un humain. Ni à montrer mes oreilles dans une ville non 100% elfe. Des plans pour que je me fasse encore agresser/kidnapper/acheter par des gens louches. Les humains sont louches. Regardez James.

Je devrais faire attention, sinon je vais me mettre à pleurer et je vais réveiller Uvi. Je ne voudrais pas qu’il s’inquiète, alors je ne dois pas pleurer, même si j’en ai très envie. I just hate everything that’s happening. I hate the direction my life has taken. I wish I could continue being as nice as possible with everyone, but then I would only get hurt again. I’ll have less chance of getting hurt if I keep everyone at a distance... everyone except Uvi... and William. William est beaucoup trop gentil pour que je ne lui fasse pas confiance.

Considering what happened in the past few days, I realized that being nice is not what matters, making your way through life is what matters. Kill or be killed, right? I hate that thought, but I don’t really have a choice. Je vais devoir m’endurcir. Mais je suis censée faire ça comment...? Je vais commencer par essayer de me retenir de pleurer. Ça devrait être un bon début.

J’ai continué à penser à tout ça jusqu’à ce que le soleil se lève et que je me décide à réveiller Uvi. Nous sommes allés voir le capitaine pour savoir ce qu’il en était de notre liberté de mouvement, ou de l’absence de celle-ci. J’ai encore cogné avant d’entrer. Pourquoi je continue à faire ça? Le capitaine nous a dit que nous étions libres de circuler, mais au moindre problème, il y aurait des conséquences pour tout le monde. Génial. Alors un idiot va essayer de jeter quelqu’un par-dessus bord et je vais être punie pour ça? Je viens de trouver une autre raison de l’utilité d’être gentil : on paye pour les erreurs des autres.

Nous sommes ensuite descendus aux cuisines pour nous chercher à manger. Je n’avais aucune envie de rester, alors j’ai pris des fruits, du pain, du fromage et je me suis préparée à partir. Je n’avais aucune envie de croiser le regard des marins, eux qui me croyaient sans doute aussi cinglée que les autres. Et je n’avais pas non plus envie de rester plus près que nécessaire des membres de mon groupe. Je les ai informés de ce que le capitaine avait dit et je me suis dirigée vers les escaliers.

Il a fallu que Willington choisisse ce moment pour arriver. Le kid était avec lui et il tenait un gros sac dans ses mains. Je me suis tassée sur le côté pour les laisser passer, mais Willington est resté dans le cadre de porte, me coupant la route. Alors je suis libre de circuler, mais je ne peux pas aller où je veux? Je désire seulement me trouver le plus loin possible de vous et de tout le monde. C’est si difficile à comprendre? Il n’avait pas l’air prêt de bouger, alors je suis retournée près de la table pour voir ce que contenait le sac.

Comme je le croyais, il contenait toutes les affaires qui avaient été volées, à l’exception du ruban d’Eri. Étienne a serré la main de Willington pour le remercier. Ne comptez pas sur moi pour faire ça. Willington a fini par partir et je l’ai suivi de près. Étienne m’a demandé pourquoi je partais aussi vite. […] Parce que…

Le voyage a duré trois semaines, au cours desquelles je n’ai pas fait grand-chose. J’ai passé la plupart du temps dans ma chambre. Je ne suis montée sur le pont que pour continuer à montrer les premiers soins à William. J’ai aussi continué à m’entraîner avec mon épée de bois. Comme je ne voulais pas demander à Étienne de m’aider, je suis allée voir Eri. J’ai abandonné au bout d’une semaine. Ses explications n’étaient tellement pas claires que j’étais mélangée plus qu’autre chose.

Uvi est resté près de moi la plupart du temps. Il n’a pas cherché à faire la conversation plus que nécessaire et moi j’ai gardé mes distances. Je n’avais plus autant envie qu’autrefois de me confier à lui. Je crois qu’inconsciemment, je cherchais à garder mes distances même avec lui. Après tout, il n’est qu’un ami, n’est-ce pas? Et il y a des choses qu’on ne veut pas confier à un ami, même si c’est le meilleur qui soit.

Les rares moments où Uvi n’était pas à côté de moi, Étienne a essayé de discuter avec moi. Je crois qu’il voulait que les choses redeviennent comme avant. Moi je n’en avais aucune envie alors à chaque fois qu’il ouvrait la bouche, je trouvais une excuse bidon pour m’en aller. Il a fini par comprendre et il a arrêté de venir me voir. Tant mieux, ça me simplifie les choses.

Quand nous sommes arrivés près de notre destination, le bateau s’est arrêté. Nos armes ont été descendues, puis Ark et tout le monde. Quand il n’est plus resté qu’Uvi et moi, Willington m’a demandé s’il pouvait me parler. J’étais très hésitante, mais j’ai fini par accepter. Je me demandais ce qu’il pouvait bien me vouloir. Durant tout le voyage, je m’étais posé la question. Que va-t-il advenir d’Uvi et de moi? Est-ce que Willington va vraiment nous laisser repartir avec les autres? Après tout, il avait bien dit qu’il ne voulait rien en échange de notre liberté…

Dès que nous sommes entrées dans la cabine de pilotage, il a refermé la porte derrière nous et l’a verrouillée, embarrant Uvi à l’extérieur. Euh… Il m’a dit qu’il voulait me poser une question. Me poser une question? Pensez-vous vraiment que j’ai envie de répondre à vos questions? Non, pas du tout, et je lui ai dit. C’est alors qu’il m’a posé la question qui tue : Avez-vous quelque chose à dire à quelqu’un là-bas? Je suis restée bouche-bée tellement j’étais surprise. Mon cerveau s’est mis à tourner à pleine vitesse. Allait-il vraiment faire parvenir à ma famille un mot que j’écrirais? Je n’en étais pas certaine, mais s’il y avait une chance, même minuscule, que mes parents aient de mes nouvelles, je devais la prendre. Je lui ai donc demandé papier et crayon et j’ai écrit une courte lettre à mes parents. Une fois le tout terminé, j’ai plié la feuille et écrit le nom de mon père à l’endos. J’ai donné la feuille à Willington.

Quand il a vu le nom que j’avais écrit, il a fait «une face». La même face qu’il avait faite quand je lui avais dit que je venais d’Idrazz’il. Je vous avais déjà dit mon nom, alors pourquoi vous avez l’air aussi étonné? Il m’a tendu la main. Euh… Qu’est-ce que vous faites? Il ne veut quand même pas… me faire un baisemain? Ce n’est pas parce que je suis noble que j’ai envie qu’on me fasse ce genre de chose, en tout cas, pas par vous. En fin de compte, il m’a seulement serré la main, en me disant que tout le monde n’était pas méchant. Oui, c’est ça… Ils ne sont pas tous méchants. Ils sont juste cinglés à différents degrés.

Moi je voulais m’en aller, mais il a fallu que Willington pose encore une question qui tue : Est-ce que ça vous rassurerait si votre lettre était remise par quelqu’un qui va habiter chez vous? Euh, quoi? Oui, mais quoi? Comment ça, quelqu’un qui va habiter chez moi? Willington m’a demandé si j’étais capable de garder un secret, parce que j’étais quand même une barde… Quoi? Biens sûr que je peux garder un secret! Ce n’est pas parce que je suis une barde que je raconte n’importe quoi à n’importe qui! Il va falloir que je m’en rappelle de celle-là. En plus de tout le reste, je raconte tout à tout le monde!

Willington a dû me croire, parce que nous sommes sortis de la cabine de pilotage et il m’a emmenée à l’intérieur du bateau, sous l’escalier. Autant tout à l’heure il avait empêché Uvi de nous suivre, autant là il s’en fichait. Il a cogné dans le mur et… Est-ce que c’est moi il est en train de cogner l’hymne national des elfes? Quand il a fini, le panneau s’est ouvert et j’ai vu… plusieurs demi-elfes. Euh??? Je l’ignorais totalement, mais en ces temps de guerre, Idrazz’il servait de refuge pour les demi-elfes qui n’étaient acceptés nulle part. Oh… Alors je suppose que Willington n’est pas si mauvais que ça en fin de compte. Mais ça ne change rien au fait que je me suis sentie trahie. Ça lui aurait coûté quoi de m’expliquer calmement la situation? Mais non. Au lieu de ça, il a fallu qu’il me dise qu’il me prenait en otage. Un malade de plus…

Willington a fait signe à trois demi-elfes qui se sont avancés vers nous. Alors ce sont eux…