mardi 24 janvier 2012

Je dois le raisonner, mais il est si beau...

Au bout de quelques heures, je me suis décidée à aller prendre des nouvelles de Lemleck. Jacques montait la garde devant sa cabine et il n’a pas voulu me laisser entrer. Après que j’ais expliqué un peu ce qui s’était passé, il m’a accusée d’être fautive et a refusé de m’expliquer quoi que ce soit. Il m’a ensuite chassée en me disant d’aller faire mes trucs d’elfe. J’ai même eu droit à un «shoo-shoo», avec le petit mouvement de main en prime. Je me suis beaucoup retenue pour ne pas lui donner un coup de pied dans le tibia…

Au moins, Rodrigue a été assez gentil pour m’expliquer. Il m’a dit que l’alcool était comme une drogue, que si on carburait à ça, l’organisme finissait par ne plus pouvoir s’en passer. Si on arrêtait d’un coup d’en prendre, ça pouvait créer un choc trop grand et la personne pouvait en mourir. Mais je ne veux pas que Lemleck meure moi… Rodrigue a tenté de me rassurer en me disant que ceux de sa race étaient faits forts. S’il le dit… mais depuis quand les capitaines sont considérés comme une race à part…?

18 au 26 octobre

Pendant 8 jours, je n’ai eu aucune nouvelle de Lemleck. J’entendais parfois du bruit et il m’est arrivé de voir Jacques sortir de la cabine, recouvert de la moitié de la nourriture qu’il avait tenté d’apporter à Lemleck. Moments jouissifs…

Finalement, la porte s’est ouverte. Je suis allée voir, mais il y avait toujours des marins. Je suis allée me cacher plus loin, mais quand je suis revenue, la cabine était toujours occupée. Je suis donc retournée me cacher et j’ai attendu que les marins sortent avant d’aller jeter mon coup d’œil. Lemleck n’était nulle part en vue. J’ai fait un tour complet du bateau et j’ai revérifié dans la cabine avant de me décider à demander à Rodrigue. Il m’a pointé la vigie. Alors c’est là qu’il se cachait? Je me suis assise tout près et je l’ai regardé jusqu’à ce qu’il descende.

Il est descendu par les cordes. C’était assez épique à voir. Il a atterri près de moi et m’a regardée sans rien dire. Il était amaigri et avait des cernes, mais au moins il était vivant. Mais je ne pouvais quand même pas lui demander s’il allait bien, vu que ce n’était pas le cas, alors je lui ai simplement dit que j’étais heureuse de voir qu’il allait mieux, puis qu’il ne soit pas mort, mais il n’a apprécié aucune de mes remarques. Je n’étais quand même pas pour vous dire que j’aurais aimé que vous mouriez!

Je lui ai demandé si j’avais fait quelque chose de mal. Il a été établi qu’à part être une elfe et respirer, à part espionner la cabine d’un homme (mais que devait-il penser de moi quand il m’a vue faire des allers-retours vers sa cabine?) et à part essayer de me justifier pour qu’il ne pense pas que j’essayais vraiment de l’espionner, je n’avais rien fait de mal. Ça doit vouloir dire qu’il ne m’en veut pas de lui avoir parlé. C’est bien, non? Il m’a demandé pourquoi je voulais savoir ça.

-Parce que c’est arrivé juste après que je vous ais parlé. Je sais qu’il y a un lien, mais je ne vois pas lequel.

-Pourquoi je devrais me justifier?

-Parce que vous le voulez bien…

-À une elfe?

-Oui.

-Jamais.

D’accord… Oubliez ça alors. J’ai été idiote de penser que… Nous arrivions le lendemain à destination, alors j’ai tout fait pour l’éviter.

27 octobre

Nous sommes finalement arrivés. Lemleck a jeté quelque chose à l’eau, pour attirer le truc que nous devions tuer. Il m’a donné une potion à boire, qui me permettrait de respirer sous l’eau. Comme au bon vieux temps…

Il a demandé à Maverick de nous emmener sous l’eau, en échange de quoi son bateau serait un deux mâts. Avec cette promesse et un «s’il vous plaît» de ma part, Maverick a sauté dans l’eau et s’est transformé. Lemleck a sauté directement sur la tête de Maverick. J’ai essayé de faire pareil, mais je suis tombée dans l’eau. Lemleck m’a sortie en m’agrippant par le collet. Il avait l’air contrarié.

-Je n’ai jamais dit que je savais sauter!

-Quand on ne sait pas, on demande!

-Ça change quoi? On va finir dans l’eau de toute façon!

(Il a encore eu l’air fâché.)

-Accroche-toi.

Par réflexe, je me suis accrochée à lui.

-Qu’est-ce que tu fais?

-…Désolée…

Comment j’étais censée savoir que je devais m’accrocher à Maverick et pas à vous? Je me suis donc accrochée à Maverick et nous sommes rentrés dans l’eau.

Maverick nous a laissés dans les profondeurs et il est reparti. Il y avait une épave de bateau plus loin. J’ai aperçu du mouvement. Yééé… Encore ça… C’est vraiment comme au bon vieux temps… Le monstre qui est sorti était le même que nous avions combattu dans le temple de l’eau, plus petit, mais tout aussi effrayant.

Tout est devenu noir assez vite et je me suis réveillée sur le pont du bateau, en crachant de l’eau. Maverick semblait très heureux que je sois réveillée. Lemleck avait encore l’air fâché et s’est contenté de m’ordonner d’aller me changer. Mais depuis quand vous me vouvoyez?

Je suis donc allée me changer et je me suis risquée ensuite à aller le voir. Il était en train de préparer la mixture qui me débarrasserait de mes bracelets. Le premier s’est enlevé sans problème, mais le deuxième a refusé de se défaire. Ça n’a pas plus à Lemleck et il a même traité la sorcière de garce.

Moi j’ai décidé de faire un essai et j’ai réussi : mon violon est apparu. Rien n’aurait pu me faire plus plaisir alors j’ai remercié Lemleck. J’étais malgré tout très satisfaite. Avec un peu de chance, je pourrais malgré tout utiliser ma magie à peu près normalement.

-Je tiens toujours ma parole.

-C’est ce que je vois.

-…

Il a haussé un sourcil, comme si ma déclaration le surprenait. Vous l’aviez dit vous-même, non? Vous devez me faire confiance sur un minimum de choses si vous voulez que je vous fasse aussi confiance. Ça marche dans l’autre sens aussi.

La prochaine étape était le continent et Idrazz’il. Mais avant, Lemleck voulait faire un arrêt au port le plus proche. Bien entendu, il ne m’a pas dit où il voulait s’arrêter ni pourquoi, alors je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir un mauvais pressentiment. Mais qu’est-ce qu’il prépare…?

3 novembre

Au bout d’une semaine, nous sommes finalement arrivés à destination. Maverick est parti avec Rodrigue pour magasiner un bateau et j’ai dû dire adieu à mon ami. J’espère que je vous reverrai un jour. Vous allez me manquer…

Un carrosse attendait Lemleck, qui m’a fait signe de le suivre. Euh… Mais qu’est-ce qui se passe? Il me demande, pas ordonne, demande, de le suivre… Quelle visite peut-il bien avoir à faire qu’il ait besoin de moi? Je me sentais un peu mal à l’aise, mais je l’ai quand même suivi. Ma curiosité me perdra…

Le voyage a duré une bonne partie de la journée. Lemleck n’a rien dit et moi je n’ai rien demandé. Je ne pense pas qu’il m’aurait répondu ou plutôt il m’aurait répondu un truc du genre «je n’ai pas à te dire quoi que ce soit».

Nous sommes arrivés en fin de journée à une charmante villa côtière. Des serviteurs sont sortis pour accueillir Lemleck et j’ai entendu une des deux voix que je redoutais le plus d’entendre : celle de la belle-sœur. Pourquoi? Pourquoi Lemleck voulait-il m’emmener ici? Le pire dans tout ça, c’est que la belle-sœur agissait comme si rien ne s’était passé. Elle a d’abord paru surprise de me voir, puis contente. Et moi, à part dire un faible «bonjour», je suis restée plantée là, complètement terrorisée.

Après qu’elle soit rentrée dans la maison, j’ai fait part de mes craintes à Lemleck. Je n’avais aucun désir d’entrer dans cette maison et je préférais de beaucoup retourner sur le bateau.

-Alors remonte dans le carrosse et retourne sur le bateau. Et montre à tout le monde que les elfes sont lâches.

(Il ne m’en fallait pas plus pour me décider. Juste pour le contredire, j’ai décidé de ne pas partir et je l’ai précédé dans la maison.)

-…Je vous hais.

-Quand on déteste, on essaie de tuer.

-Je ne vous déteste pas vraiment en fait…

Et c’était vrai. Avec tout ce qui s’était passé, j’avais eu peur de Lemleck, j’avais été fâchée contre lui, mais je ne l’avais jamais haï.

Nous avons retrouvé la belle-sœur au petit salon et nous avons été rejoints par le frère. Il a été très étonné de voir Lemleck chez lui, mais encore plus de le voir chez lui sobre. Quand il m’a regardée, il n’a même pas eu l’air de me reconnaître. Il a fallu que sa femme lui rappelle qui j’étais. Allez, rappelez-vous… Je suis l’elfe que vous avez déshabillée et tripotée durant son sommeil et que vous avez reluquée pendant qu’elle était complètement nue et qu’elle lisait un livre sur le sexe… Naturellement, je n’ai pas eu le courage de le lui dire.

La belle-sœur voulait qu’après le souper, nous allions boire un thé ensemble pendant que les hommes allaient de leur côté pour boire leur porto. Moi je n’avais pas du tout envie d’être ici et encore moins de me retrouver seule en compagnie de la belle-sœur. Pour l’amour du ciel, pourquoi Lemleck avait-t-il décidé de m’emmener ici et surtout pourquoi avait-il décidé de m’emmener ici pour quelques jours? La proposition de la belle-sœur ne me disait rien du tout et je m’apprêtais à lui dire.

-Euh…

-Lâche.

(Ça c’était Lemleck.)

-C’est d’accord!

Je n’allais certainement pas lui donner raison. Ça me fâchait tellement qu’il m’ait traitée de lâche que j’ai failli lui donner un coup de pied pour me venger.

Le frère et la belle-sœur nous ont précédés dans la salle à dîner et Lemleck m’a tendu son bras.

-Oh mon dieu…

(Comment vais-je survivre?)

-Lemleck suffira.

Est-ce que c’est moi ou est-ce que Lemleck vient juste de faire une blague? Vient juste de me faire une blague? Ça m’a fait tellement plaisir que ça effaçait presque l’inconfort que je ressentais.

-Je vous déteste…

-Je sais, je ne me lasse jamais de l’entendre.

-Vous savez, si vous avez l’impression de ne pas recevoir votre dose quotidienne, vous n’aurez qu’à me demander de vous le dire.

-Je n’y manquerai pas.

-J’ai l’impression que ça ne sera pas difficile…

Je ne pensais pas mes deux premières phrases, mais celle-ci, oui. Que ce soit volontaire ou pas, on aurait dit que Lemleck savait exactement quoi dire et faire pour que j’agisse.

Le souper s’est relativement bien passé. La nourriture était délicieuse et le frère et la belle-sœur était de bonne compagnie. On aurait presque dit un repas entre amis. Quand nous avons fini de manger, les hommes sont effectivement partis de leur côté et moi avec la belle-sœur pour boire un verre et discuter entre filles.

J’avais tellement peur qu’elle ne mette ses menaces à exécution que je n’ai pas osé la contredire une seule fois. Quand elle m’a demandé comment les choses se passaient avec Lemleck, je lui ai répondu que ce n’était que tout récemment que nos relations s’étaient améliorées. Elle m’a ensuite demandé si nous en étions rendus à penser à… avoir une famille? Non, pas encore… Oui, c’est bien parce qu’il n’a pas encore osé faire les premiers pas… Est-ce qu’il aurait besoin d’un petit coup de pouce? Oui, sûrement… Je pensais qu’elle allait me donner des conseils sur ce que je devrais faire pour «motiver» Lemleck, mais elle n’en a rien fait. Elle doit garder ça pour plus tard. J’ai aussi mentionné que Lemleck ne buvait plus depuis deux semaines et qu’il avait tout jeté par-dessus bord. Elle était certaine que j’en étais la cause. Oui, c’est bien à cause de moi, mais pas pour moi.

Elle m’a reconduite à ma chambre en prenant bien soin de me préciser que la chambre de Lemleck était juste à côté et qu’une salle de bain communicante nous séparait. Merci, c’est bon à savoir…

Une fois seule, j’ai attendu avec impatience que Lemleck retourne dans sa chambre. J’entendais des éclats de voix (qui ne pouvaient être que les siens) et j’étais très curieuse de connaître les détails de la discussion qu’il avait eue avec son frère. Dès que j’ai entendu du bruit de l’autre côté, j’ai ouvert la porte menant à la salle de bain communicante… au même moment où lui ouvrait la porte de son côté, une bouteille de vin et deux coupes à la main.

-Les grands esprits se rejoignent…

-Je suis un grand esprit?

-Ce soir, oui.

-Ce soir?

-…Tout le temps!

(Et maintenant, ça sonne comme si je le traitais d’attardé tout le reste du temps. J’ai seulement été agréablement surprise de voir que nous avions pensé à la même chose en même temps, c’est tout…)

Il m’a laissé la préférence de l’endroit où nous boirions notre vin, alors je lui ai fait signe de me suivre dans ma chambre, où nous pourrions nous assoir confortablement que sur le rebord du bain. Il m’a demandé quels étaient mes plans. Survivre à mon séjour ici, retourner sur le bateau et penser à un moyen de nous faire entrer dans Idrazz’il sans problème. Parce que oui, je voulais vraiment aider Lemleck.

J’ai profité que l’atmosphère était détendue pour m’excuser d’avoir été lâche. Je lui ai expliqué que j’avais eu tellement peur que je n’avais pas osé la détromper. Son frère, lui, ne pensait pas que nous étions un couple. Tant mieux pour lui, mais la belle-sœur le croyait et moi j’avais eu peur de lui dire le contraire.

-Ils ne te feront rien parce que je suis là.

-Mais vous ne serez pas toujours à côté de moi!

-Tu as besoin de moi pour te protéger d’elle?

-Oui.

-Tu as besoin de moi?

-Oui!

Que voulez-vous que je vous dise de plus? Je suis faible, je suis lâche et j’ai besoin de vous! Parce que je sais très bien que malgré vos sentiments envers les elfes, vous ne les laisserez pas me faire du mal. Regardez ce que vous avez fait! Vous m’avez tellement énervée que j’ai des coups de chaleur! C’est même plus que des coups de chaleur. Je commence à avoir très chaud.

Lemleck avait chaud aussi parce qu’il a enlevé sa redingote.

-Il fait vraiment chaud…

-Oui, c’est vrai. Est-ce que l’alcool est censé donner aussi chaud? Je ne suis pas une experte, mais…

-Non. D’habitude, l’alcool rafraîchit.

Il a fini de parler, mais j’ai gardé les yeux rivés sur ses lèvres. J’adorerais les embrasser, ou même juste les toucher, ou toucher votre visage... Et vos yeux… Vos yeux sont tellement beaux Lemleck… Et votre torse, que j’aperçois par le col entrouvert de votre chemise… J’ai tellement envie de détacher votre chemise jusqu’en bas pour pouvoir admirer le reste… Savez-vous à quel point vous êtes sexy…?

Oh mon dieu… Je suis en train de trouver Lemleck attirant… Ce n’est pas normal, ce n’est vraiment pas normal! C’est la belle-sœur! Elle doit forcément avoir mis quelque chose dans le vin! C’est pour ça que nous avons si chaud et que Lemleck… me regarde exactement de la façon dont moi je dois le regarder. J’adore vraiment vos yeux… Je vous en prie, continuez à me regarder et laissez-moi vous regarder, laissez-moi tout vous regarder… Oh non, je ne peux pas croire que je viens de penser ça. Il faut qu’il parte, tout de suite!

-Je vous en prie Lemleck, partez avant que je ne dise ou ne fasse quelque chose que je pourrais regretter.

-Comme quoi?

(Votre voix est si sensuelle… Vous voulez bien me murmurer quelque chose à l’oreille? N’importe quoi fera l’affaire. Je voudrais juste entendre votre voix d’un peu plus près et sentir votre souffle sur ma peau. D’ailleurs, ce n’est pas obligé d’être contre mon oreille. Tout mon corps est à votre disposition pour que vous en profitiez comme vous voulez. Seigneur, je suis en train de m’offrir mentalement à Lemleck…)

-Comme…

(Comme vous dire à quel point vous êtes beau et que je voudrais que vous me preniez ici et maintenant. Je vous en prie, enlevez-moi mes vêtements, arrachez-les si vous voulez, et prenez-moi. Je me fiche si ce n’est pas sur le lit. Le canapé ou même le plancher feront l’affaire.)

-…Comme quelque chose…

Lemleck s’est finalement levé et il est parti. J’ai failli lui demander de rester, le supplier plutôt, mais en même temps, la vue de dos n’était pas du tout désagréable à regarder… Je n’avais jamais remarqué à quel point vous aviez des belles fesses. Je suis certaine qu’elles seraient encore plus belles si vous n’aviez pas vos pantalons… Pourquoi avez-vous seulement enlevé votre redingote? Avez-vous besoin d’aide pour le reste…?

Une fois la porte de la salle de bain refermée, j’ai commencé à faire les cents pas. J’ai des pensées envers Lemleck… J’ai des pensées trop troublantes envers Lemleck… Je sais que ce n’est pas naturel, mais je ne peux pas m’en empêcher. J’ai déjà trouvé des hommes beaux et attirants, mais je n’avais jamais été attirée sexuellement pas personne et surtout pas au point que c’en était devenu un besoin vital. Ça pouvait paraître exagéré, mais c’était ce que je ressentais : j’avais l’impression que j’allais devenir complètement folle si je ne couchais pas avec Lemleck.

Pour l’amour du ciel, reprends-toi Leila… Reprends-toi… J’essayais toujours de me contenir quand la porte de la salle de bain s’est ouverte avec éclat, au bout d’une heure. C’était Lemleck, qui avait l’air de me vouloir encore plus que tout à l’heure. Je pourrais peut-être le raisonner… essayer de le raisonner… Non, je dois le raisonner.

Mais il est tellement beau et le lit est si près…

dimanche 8 janvier 2012

Euh...

Lemleck attendait sans rien dire devant moi. Il me regardait et attendait­. Je lui ai demandé pourquoi il voulait tant savoir. C'était raisonnable comme question, non? Après tout, ça faisait six mois que je voyageais avec lui et jamais il ne s'était intéressé à ce qui s'était passé. Malgré ça, il a refusé de me répondre.


J'ai commencé par parler d'Urh. Je crois que j'ai dit dix mots avant d'avoir un blocage.
-Est-ce que c'est vraiment nécessaire?
-...
Encore un silence. Lemleck ne m'aiderait pas du tout. Je me serais attendue à ce qu'il le fasse. Pas avec des encouragements, mais avec des «Parle l'elfe!». Le silence était pire.

J'ai réussi à me rendre jusqu'à l'arrivée à la maison. Ensuite, j'ai encore bloqué. Le souvenir de cette fameuse nuit me rendait profondément mal à l'aise. J'aurais pu à ce moment-là me taire. Je lui ai encore demandé si c'était vraiment nécessaire et il m'a répondu que si je ne voulais pas en parler, c'était mon choix.

J'aurais pu tout arrêter à ce moment-là et ne plus jamais y penser, mais j'ai choisi de tout déballer. Peut-être que j'avais peur qu'il revienne à la charge plus tard? S'il m'avait posé la question, c'était qu'il voulait vraiment savoir, peu importe sa raison, alors il n'abandonnerait pas aussi facilement. Peut-être que je voulais tout simplement en être débarassée une bonne fois pour toute...?

J'ai pris une profonde inspiration et j'ai tout déballé.
-La première nuit, je me suis réveillée à moitié nue, votre frère couché sur moi en train de me tripoter!
-La provocation ne fonctionne pas avec moi, surtout venant de toi.
-Ce n'est pas de la provocation!
-Pourquoi il aurait fait ça?
-Je ne sais pas! Je ne lui ai pas demandé! J'étais occupée à me défendre!
-Te défendre contre quoi?
-Me défendre contre l'homme qui m'avait déshabillée et tripotée durant mon sommeil!
-...
-J'aurais dû le laisser faire peut-être?!
-...
-...
Encore ce silence si pesant. D'accord, je vais continuer...

J'ai enchaîné avec les leçons de danse et les coups de fouet sur mes pieds, qui ont fini fendus jusqu'au sang. Il n'a pas commenté. Juste un haussement de sourcil, comme s'il doutait de la véracité de mes paroles.

J'ai continué avec les leçons d'équitation et les commentaires déplacés de son frère. Dieu merci, il ne m'a pas demandé de précision.

Ensuite, ma deuxième leçon préférée: la broderie/tricot. J'ai parlé de l'aiguille à tricot dans la main, des menaces, du petit doigt disloqué. Encore ce haussement de sourcil...

Puis, vint ma partie préférée: les leçons de diction. Je me suis contentée de dire que c'était un livre très déplacé (jamais je n'aurais pu dire quel était le sujet exact, beaucoup trop gênant). J'ai parlé de la belle-soeur, de son départ. Puis l'arrivée de son frère, ses commentaires encore déplacés, sa main rendue à moitié sous ma robe... Plus mon récit avançait, moins j'osais le regarder. Quand je suis arrivée au moment où son frère m'avait demandé d'enlever ma robe, sinon il aurait demandé à des serviteurs de le faire à ma place, j'osais à peine lui jeter de minuscules coups d'oeil, tellement j'étais mal à l'aise. Lui n'avait pas arrêté un instant de me fixer, toujours en silence.

Alors j'ai continué: la lecture avec le frère qui me reluquait, la belle-soeur qui est revenue et qui s'est mise à discuter avec son mari comme si de rien était...

La suite, il en connaissait une partie. Il était arrivé et j'avais osé lui répliquer. Ça n'avait pas plu à la belle-soeur, qui m'avait forcée à manger un pain au savon et... la cerise sur le sundae, ses menaces on ne peut plus claires. Je m'en souvenais par coeur: Si tu ne le satisfais pas d'une quelconque façon, je vais te revendre à des marins pas recommendables, cinq ou six, qui auront pour seule mission de faire souffrir le plus longtemps possible.

Le lendemain matin à l'aurore, la belle-soeur était venue me réveiller. Elle m'avait mis un sac (de vêtements?), m'avait emmenée jusqu'au bateau et m'avait enfermée à clé dans la cale. And the rest was history.

Voilà. Mon histoire était terminée. Ça avait été beaucoup plus facile que ce que je croyais, probablement à cause que je n'avais reçu aucune interruption. Je ne sais pas si je pouvais dire que le pire était derrière moi, parce que je me sentais toujours profondément mal à l'aise. Je n'éprouvais aucun sentiment de libération comme ce genre de confidence en apporte parfois.

Je me sentais d'autant plus mal à l'aise qu'il ne disait rien. Moi j'attendais, que ce soit un commentaire ou une question mais il ne se passait rien. Je viens de vous raconter un des épisodes les plus difficiles de ma vie et vous ne me dites rien?
-Vous voulez savoir autre chose?
-...C'est tout?
-Oui, c'est tout.
(Que voulez-vous qu'il y ait d'autre? C'est vrai, j'ai oublié l'épisode où votre frère a mis sa langue dans ma bouche, mais voulez-vous vraiment savoir ça?)

J'aurais tant aimé avoir son opinion, que ce soit en bien ou en mal, mais je n'ai rien eu du tout. Sans un mot, il s'est dirigé vers son armoire à alcool et il l'a vidée. Et quand je dis «vidée», c'est dans le sens de complètement vidée. Ses mains étaient tellement pleines qu'il ne pouvait pas ouvrir la porte. Je m'apprêtais à le faire pour lui quand il a décidé de la défoncer d'un coup de pied. Euh...Est-ce qu'il est fâché?

Je l'ai suivi discrètement, trop curieuse que j'étais. Je l'ai vu donner des ordres à Jacques, qui semblait plutôt perplexe. Après, il s'est rendu jusqu'à la proue et il a jeté ses bouteilles une à une par-dessus bord. What the hell...? Mais qu'est-ce qu'il fait et pourquoi? Il doit forcément y avoir un rapport avec ce que je lui ai dit. Il ne peut pas avoir soudainement décidé de se débarrasser de son alcool, alors qu'il carbure à ça. Mais quel lien et surtout, pourquoi y en a-t-il un? Qu'est-ce que je lui ai dit qui lui ait causé un si grand choc?

Pendant qu'il continuait à jeter ses bouteilles, des marins sont arrivés avec des tonneaux et des caisses, qui ont aussi été jetés par-dessus bord. Est-ce qu'ils étaient aussi remplis d'alcool? Si oui, c'était vraiment radical comme solution.

Quand il a eu fini, je l'ai vu parler à d'autres marins, avant de s'en retourner vers sa cabine. Je n'avais pas trop envie de provoquer un face-à-face alors je suis retournée l'attendre là-bas. J'espérais encore à ce moment-là recevoir une opinion, mais tout ce que j'ai eu ce fut un «ramasse tes affaires, des marins vont venir te chercher pour t'emmener dans une nouvelle cabine». Oh...

Ce n'étaitpas que j'étais déçue, mais je l'étais un peu. J'étais bien entendu heureuse d'avoir de nouveau un espace à moi, mais je commençais à m'habituer à la cabine de Lemleck et comme les choses semblaient reparties sur de nouvelles bases entre nous, ça ne me dérangeait plus autant d'y rester. Ce qui me dérangeait, c'était cette impression d'avoir été chassée. comme s'il ne voulait plus m'avoir sous les yeux. Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal? Ou dit quelque chose de mal? Peut-être pense-t-il que je lui ai menti?

Je n'ai pas pu lui demander le pourquoi du comment que moi et mes maigres possessions (quelques vêtements) étions emmenés dans notre nouvelle demeure, une petite cabine à proximité de celle du capitaine. Comme la dernière fois, les marins s'étaient fendus en quatre pour que ça ait l'air le plus accueillant possible. J'étais très touchée par leur gentillesse, mais pas assez pour chasser mon malaise. Pourquoi Lemleck avait-il jeté/fait jeter tout l'alcool qu'il y avait à bord et pourquoi m'avait-il chassée...?