mardi 8 novembre 2011

J'ai condamné tous ceux que j'aime

28 avril

J’ai fini par retrouver mes bonnes manières et je lui ai demandé son nom. Il n’avait pas de nom prononçable en commun alors j’ai choisi le pseudonyme qu’il préférait : Édouard.

Selon lui, les artefacts étaient permanents. Ils pouvaient donc être utilisés plusieurs fois, mais avaient besoin d’un temps de régénération varié. J’espérais que ça fonctionnerait pour ceux que je voulais utiliser pour Lemleck, parce que j’avais l’impression que j’allais devoir les tester pour que les marins me laissent faire.

J’ai raconté à Édouard mon aventure avec le prince Gnuhanhanhan. Il a été fasciné d’apprendre que j’avais mangé un bout de sa queue. Selon les légendes, manger une queue de triton rendait immortel. Quoi? Je ne veux pas être immortelle, moi! Ma vie est assez merdique comme ça. Je n’ai pas besoin en plus de souffrir pour l’éternité. Édouard était super motivé à tout apprendre de cette rencontre et me posait pleins de questions. Il voulait même rencontrer mon ami, mais je n’étais pas certaine que ça soit une bonne idée. C’était quand même un dragon…

Il est retourné se coucher dans le fond de sa grotte pour faire semblant de dormir. Les deux enfants sont revenus et m’ont ramenée dans leur chambre. Je leur ai dit que je n’avais pas parlé au dragon, parce qu’il dormait et je n’avais pas osé le déranger.

L’homme qui m’avait menacée est revenu me chercher et m’a emmenée dans une grande salle où j’ai retrouvé Jacques et les marins qui l’accompagnaient. Jacques a fait une face de «wtf, qu’est-ce que tu fais là». Nous nous inquiétions alors j’ai décidé de venir vous chercher? Très réussi, n’est-ce pas…?

Il y avait un homme plus vieux, avec les cheveux bleus et qui ressemblait à Édouard. Il a lancé une boîte à Jacques et lui a dit que c’était ça qu’ils étaient venus chercher et qu’ils lui disent que maintenant ils étaient quittes. Jacques a essayé de lui expliquer que j’appartenais à Lemleck et pour une fois, je me suis fait un plaisir de confirmer. Le vieux lui a répondu qu’il n’avait qu’à garder ce qui lui appartenait près de lui. Les marins n’ont donc pas eu le choix de partir sans moi. Et moi je n’avais plus d’autre choix que de devoir me débrouiller toute seule…

Le père et le frère d’Édouard ont commencé à dire qu’ils devraient me donner à manger à celle qui était malade, parce qu’ils ne perdraient rien. J’ai tenté de me marchander une dernière volonté : boire une tasse de thé, parce que c’était une tradition elfique. Ils ont refusé.

Après ça, le vieux est parti. Je m’avais aucune envie de me faire découper en morceau, alors j’ai essayé d’inonder le frère d’Édouard. J’ai bien réussi un petit «sploutch», mais j’ai surtout réussi à le mettre en colère, très en colère. Mais j’aurai au moins réussi à faire revenir le vieux, qui a demandé à son fils de partir, pour que je lui raconte comment j’avais réussi à «emprunter» un pouvoir.

J’ai dit que j’étais prête à tout dire, mais seulement si je pouvais boire du thé. J’ai insisté pour servir le thé moi-même, en redisant que c’était une tradition elfique. Pendant que je remplissais sa tasse, j’ai essayé d’être subtile et de verser une goutte de la fiole dedans.

Mais je n’ai pas réussi à être subtile. Dès que je lui ai donné sa tasse, il m’a dit qu’une tradition dragon était l’échange des tasses. Oups. Nous avons donc échangé nos tasses et j’ai fini par boire son thé. Heureusement, ça ne m’a pas affectée. Après ça, le vieux m’a demandé pourquoi j’avais essayé de l’empoisonner. Re-oups. J’ai essayé d’expliquer que je ne voulais empoisonner personne, que je voulais seulement partir d’ici, mais je crois que ce n’était pas un assez bon argument pour lui. J’ai fini par ne pas avoir le choix de sortir la fiole. Le vieux l’a sentie, puis il a dit que puisque je l’aimais tant que ça, j’allais passer l’éternité avec lui.

Je n’ai même pas eu le temps de tenter une pseudo-tentative de défense. Il m’a agrippée par les cheveux et m’a traînée jusqu’à la prison d’Édouard, où il m’a enfermée avec mon nouvel ami. Je me sentais vraiment fail. Édouard m’avait donné une tasse si simple à accomplir et je n’avais même pas été foutue de l’accomplir.

Il nous restait quand même un petit espoir. Si le neveu et la nièce d’Édouard n’avaient pas refermé le loquet de la trappe, je pourrais sortir et ouvrir la grande porte pour Édouard. J’ai eu de la chance et nous avons pu partir, mais notre sortie a été un peu précipitée par le unseen servant de son père. Je me suis donc accrochée au cou d’Édouard et il s’est transformé en dragon pour pouvoir s’envoler. Je n’avais jamais vu de dragon turquoise. En fait, je n’avais jamais vu d’autre dragon à part Beloss avant aujourd’hui. À part pour Édouard, je n’ai pas particulièrement apprécié l’expérience.

Une fois dans les airs, j’ai perdu prise et je suis tombée dans le vide. J’avais le choix entre devenir une crêpe ou essayer quelque chose de désespéré. J’ai donc décidé de tenter le tout pour le tout et j’ai créé une glissade de glace. Je ne pensais pas nécessairement à glisser jusqu’au sol, mais plutôt à amortir les dégâts de ma chute. Mais au lieu de descendre tranquillement, je me suis mise à aller de plus en plus vite et je me suis encore retrouvée dans le vide et puis il y a eu un boum et tout est devenu noir.

Je me suis réveillée sur quelque chose de gluant. Euh, je suis où? Après quelques tentatives de sortir et un examen rapide des lieux, j’ai compris que je devais être dans la gueule d’un dragon. J’espère que je ne suis pas dans la gueule d’un dragon qui me ramène sur l’île… Finalement, le dragon s’est posé sur l’eau et j’ai pu sortir. C’était Édouard. J’étais tellement heureuse que je l’ai huggé, ou plutôt j’ai huggé son museau. Après nous nous sommes mis en route, en tentant de rester le plus discrets possible.

1er mai (nuit)

Nous sommes finalement arrivés au bateau. Je me suis accrochée au cou d’Édouard et il a plongé dans l’eau pour ensuite ressortir haut dans les airs. Après nous avons marché sur l’air jusqu’à ce que nous atterrissions sur le pont.

J’ai entendu les marins parler : ils ne savaient plus quoi faire pour Lemleck. Moi si. Mais avant de créer un autre moment de panique, j’ai préféré les avertir que je n’avais pas été envoyée (encore) par le dieu de la mer pour les punir. Passé le moment d’étonnement, ils ont eu l’air relativement heureux (ou plutôt soulagés) de me voir, mais ils étaient assez méfiants envers Édouard. J’ai dû défendre mon compagnon en disant aux marins qu’il savait comment apprêter la plante et qu’il avait des artefacts de guérison.

Édouard a d’ailleurs ouvert son baluchon et gare à tous ceux qui auraient osé s’approcher de ses artefacts. Quand j’ai eu les artefacts de guérison, j’ai fait une petite démonstration : j’ai emprunté la dague d’un marin, je me suis fait une entaille dans la paume et j’ai mis la botte. Ma blessure s’est refermée presqu’aussitôt et ça a suffi à convaincre les marins. Ils n’ont pas voulu me laisser faire une deuxième démonstration…

Les places sur le bateau étant plutôt limitées, j’ai dit à Édouard qu’il pouvait squatter ma cabine. Moi je suis allée aider les marins à préparer une pâte avec la plante, qu’il faudrait mettre sur ses gencives et sur sa blessure. Un des marins a dit que je devrais m’occuper de ses gencives, puisque c’était sa bouche. Mais c’est parce que je ne suis pas… Et puis laissez tomber…

1er au 5 mai

J’ai passé presque tout mon temps à veiller sur Lemleck. Quand je n’étais pas avec lui, j’étais avec Édouard. Il avait pris la peine de traduire son nom en commun. Ça donnait Lloyd Maverick. Il préférait tout simplement Maverick alors c’est qui il est devenu.

Il m’a demandé d’intercéder auprès de Lemleck pour qu’il l’aide à se trouver un bateau. Ces quelques jours passés lui avaient donné la piqure de la navigation. Il était même prêt à échanger des artefacts pour avoir son bateau. Il avait déjà fait beaucoup pour moi, alors j’ai tout de suite dit oui.

5 mai (soir)

Lemleck s’est finalement réveillé. La première chose qu’il a dite fut «j’ai faim», alors j’ai couru aux cuisines pour lui rapporter quelque chose. Il n’a pas été très heureux de se rendre compte que c’était moi à ses côtés. Mais moi je voulais vraiment m’occuper de lui, alors je l’ai laissé me donner des ordres. Encore de la bouffe… Du vin l’elfe… Quand il a été rassasié, il m’a demandé de partir et d’aller chercher Jacques.

J’ai attendu de l’autre côté de la porte. Quand Jacques est sorti, il m’a patée. Euh, il faut que j’ais si peur que ça? Je suis entrée dans la cabine très à reculons. Qu’est-ce que j’ai encore fait de mal? Lemleck m’a demandé ce que je voulais. Mais rien du tout! Je ne veux rien et je n’ai pas de plan! Tout ce que je voulais, c’était le sauver. Quand il m’a demandé pourquoi, j’ai fini par lui dire que malgré son caractère de merde et ses méthodes que je n’approuvais pas, je ne pensais pas qu’il soit quelqu’un de mauvais. Ça ne lui a pas plu, parce qu’il m’a crié de sortir, juste avant de crier à Jacques de lui apporter du rhum.

Lemleck criait très fort et comme le sujet de conversation était moi, je me suis permis d’écouter.

-Elle a fait un pacte avec un dragon?!

-Mais capitaine, c’était pour vous sauver…

-Pourquoi il a fallu que je tombe sur la seule elfe au monde qui ne soit pas mauvaise?!

Oh ouais! Il a reconnu que je n’étais pas mauvaise! Peut-être pas devant moi, mais il l’a reconnu quand même! Oh ouais! ♫Happy de la vie…♫

6 mai (nuit)

Vers minuit et demi, un marin est venu me réveiller. Le capitaine voulait me voir. Mais qu’est-ce que Lemleck pouvait bien me vouloir à cette heure-ci?

Je l’ai retrouvé complètement soûl.

-Qu’est-ce que tu veux?

-Mais je ne veux rien…

-Je n’aurais pas de dette envers une elfe. Qu’est-ce que tu veux?

-…M’en aller?

-…

-D’accord, pas ça… M’enlever les bracelets?

-On va essayer de trouver un moyen.

(Ce n’est pas ce que j’aurais voulu, mais c’était quand même un début.)

Quand je suis sortie, je l’ai entendu renifler. On aurait même dit… qu’il pleurait. Il ne peut pas pleurer à cause de moi… Il doit penser à sa famille et ça le rend triste.

-Lemleck, ça va?

-Oui!

-…Vous êtes sûr?

-Va-t-en!

-Ok…

Vu la quantité d’alcool qu’il avait dans le sang, j’ai préféré ne pas insister et je suis retournée me coucher.

6 mai-10 octobre

J’ai saisi toutes les occasions possibles pour ne pas m’ennuyer. J’ai discuté le plus souvent possible avec Maverick. Il était très cultivé et m’en a appris beaucoup. Et puis passer du temps avec lui était toujours un plaisir. J’ai aussi continué à raccommoder les vêtements des marins. J’ai même essayé de me rendre utile aux cuisines. Mais dès que je n’étais plus occupée, je me rappelais à quel point j’étais seule…

Mine de rien, le temps a passé tellement rapidement qu’un matin je me suis réveillée et c’était ma fête. Yééé, un anniversaire de plus. La perspective de vieillir ne me faisait pas peur, mais c’était les circonstances qui ne m’enchantaient pas. La dernière fois, j’étais avec Uvi dans Hopesor. Il m’avait fait un très beau cadeau, que j’avais perdu, tout comme son livre de musique… Et aujourd’hui, je me sentais très seule. Bien sûr Maverick était très gentil et les marins étaient tous très sympathiques, mais je ne me sentais proche d’aucun.

Ma déprime n’est pas passée inaperçue aux yeux de Maverick. J’ai fini par lui dire pourquoi je me sentais mal et le soir, j’ai eu droit à une petite fête de la part des marins. Il y avait un gâteau (Maverick a tenu à me dire que les trucs mignons sur le gâteau venaient de lui) et de la musique aussi. Pendant quelques courts instants, j’ai pu oublier où je me trouvais…

Puis il a fallu que Lemleck sorte dehors, pas content, demandant des explications sur tout le bruit que nous faisions. Un marin a dit que c’était la fête de la petite choupinette, mais ça n’était pas un argument suffisant pour Lemleck. J’aurais voulu qu’il reparte sans rien dire, but that was wishful thinking. The party was already over.

Maverick a essayé de prendre ma défense, disant à Lemleck qu’il avait été méchant, mais il s’est fait répondre que s’il voulait son bateau, il devait la fermer. Alors lui va avoir son bateau et moi je n’ai droit à rien? Merci Lemleck, vous avez gâché mon anniversaire. Comme le dernier, j’en garderai un souvenir très doux-amer. Je n’ai plus la mélodie, ni même mon violon pour la pratiquer de mémoire. Ça fait maintenant 5 mois qu’Uvi m’avait demandé d’aller chercher Mill. Dieu seul sait ce qui leur est arrivé à tous les deux. This just sucks…

Malgré ça, j’ai quand même continué à achaler Lemleck pour qu’il me donne quelque chose à faire pour lui et me jeter moi-même par-dessus bord n’était pas une option. À chaque fois il refusait et à chaque fois je réessayais. Il a fini par me dire que j’étais plus stupide que j’en avais l’air, parce que je ne connaissais pas mon rôle. Mon rôle? Convaincre mes parents d’organiser une grande réception, mais mis à part ça… Et non, je ne vous demande pas d’être reconnaissant envers moi. Je voudrais seulement me rendre utile à quelque chose parce que je n’ai plus rien à faire. Écrire la lettre que vous m’aviez demandé d’écrire? Non, je ne l’ai pas encore fait.

À l’entendre, je commençais presqu’à avoir peur qu’il me fasse du mal si je n’écrivais pas cette foutue lettre. Alors j’ai fini par céder. De toute façon, je n’avais plus trop le choix. Des marins venaient me voir à intervalles réguliers de la part du capitaine à ce propos et je n’avais pas envie qu’un jour ma porte s’ouvre sur Lemleck.

Après la lettre, Lemleck est venu me voir pour que je lui dise tout ce que je savais sur mon père. Euh, je ne suis pas sûre que… J’ai été un peu trop hésitante à son goût. Il m’a menacée d’«oublier» que j’étais une fille. En gros, ça voulait dire que si je ne lui disais pas absolument tout, il allait me tabasser, voire me torturer et si je continuais à m’obstiner, il me tuerait sans aucun doute. Il était tellement en colère que j’ai pris peur, enfin plus que d’habitude quand il était dans cet état. Je n’avais pas de doute qu’il était sérieux et je n’avais pas envie de vérifier s’il ne l’était pas.

J’ai cédé…

À ma plus grande honte, j’ai cédé…

Je lui ai dit tout ce qu’il voulait savoir…

Il m’a posé pleins de questions sur des choses très précises auxquelles je n’aurais jamais pensées. J’ai répondu…

Il est revenu à quelques reprises pour me demander des précisions. J’ai encore répondu…

À la fin, il m’a dit merci. Le pire, c’était qu’il n’avait pas l’air de se moquer de moi. Il avait l’air de tout simplement et sincèrement me remercier de lui avoir tout balancé. Je lui ai marmonné un «de rien».

J’aurais préféré qu’il parte sans un mot. Pourquoi me remerciez-vous de toute façon? De vous avoir aidé malgré moi à vous venger? De vous avoir dit tout ce que vous aviez besoin de savoir?

Il avait raison : j’ai peur de la mort. J’en ai même une peur horrible. Malgré tout ce que je passe mon temps à me dire, je ne veux pas mourir. J’ai tellement atrocement peur de la souffrance et de la mort que je cède à la première menace. J’ai été très égoïste. Je n’ai pensé qu’à moi et ce n’est que maintenant que je réalise les conséquences de mes gestes. J’ai probablement condamné tous ceux que j’aime…

Il a fait venir des marins dans sa cabine, des marins qui ne m’avaient jamais parlé et qui ne s’étaient pas joints à ma fête, des extrémistes anti-elfe comme Lemleck. Je ne sais pas ce qu’il leur a dit, mais ils sont tous ressortis de là avec un sourire satisfait sur le visage. Il y en a même un qui m’a jeté un petit sourire en coin qui ne me disait rien qui vaille. J’ai vraiment condamné tous ceux que j’aime… Lemleck est prêt à tout pour pouvoir se venger, alors voir qu’il va se gêner pour tuer ceux qui seront sur son chemin. S’il pense que ça peut faire avancer sa cause, il ne se gênera certainement pas non plus pour ordonner à ses marins de tuer des gens, aussi innocents soient-ils. Même les marins les plus sympathiques : si Lemleck leur donne un ordre de ce genre, ils n’auront pas le choix d’obéir. Ils ont beau être super gentils, ultimement ils seront toujours du côté de Lemleck. Je ne dois donc plus les compter du mien.

I was a coward and I was weak. Don’t thank me for that.